1ST • FUJIWARA KALEB & SAKAI AKHIRA

La lettre est tombée entre ses mains. Il l'a longtemps regardé sans l'ouvrir. Il a eu peur, sans doute, en voyant le cachet et l'inscription indiquée. Son premier rendez-vous a lieu le weekend suivant et il a pour obligation de s'y rendre. Kaleb a soupiré, pris sa tête entre ses mains avant de froisser la lettre et de l'enfoncer dans la poche arrière de son jean. Il est parti travailler, réparer sa bécane pour se changer les idées.

Mais Kaleb est là, le samedi même, à l'heure indiquée, planté devant l'immense bâtiment d'Ishikawa Corporation. Son fameux air déjà agacé plaqué sur le visage, il se décide à entrer pour se présenter à l'accueil avec sa "convocation" et il se fait guider jusqu'au bon étage. Une fois arrivé, on lui ouvre la porte et on lui dit qu'il est le premier. Il vise tout de suite le bar, part s'installer, commande un cocktail sans alcool (il n'ont pas voulu lui en servir un avec) et, jusqu'à présent, il ne s'est pas posé de questions. Mais qui va franchir la porte à sa suite ?

Un homme ? Une femme ?
De son âge, plus jeune ou bien plus âgé ? Qui est apparemment fait pour lui ?

Tenue
- « Vous avez été convoqué. »

Cette phrase résonnait dans sa tête alors qu'il était dans le métro l'emmenant jusqu'à Ishikawa Corporation. Il n'arrivait toujours pas à croire que ses parents l'avaient inscrits dans cette machine et qu'il n'avait rien pu faire face à leur décision incongrue. Il espérait être clair avec la personne qu'il rencontrerait aujourd'hui que ce n'était pas avec cette organisation qu'il comptait trouver l'amour. Ou alors qu'ils allaient devoir avoir une dizaine de rendez-vous avant de conclure car... Il était assez difficile.
Il s'était habillé « simplement » pour ce rendez-vous. Il avait enfilé un slim gris foncé avec des creepers noirs et un haut en laine noir ainsi qu'une veste blanche. Il n'avait plus eu qu'à se parer de bijoux et à se maquiller d'un peu de noir et de fond de teint avant d'être fin prêt. Quand il arriva, il présenta sa convocation et ajusta son sac quand on le mena jusqu'au bon étage. Il remercia le dit accompagnateur quand celui-ci lui ouvrit la porte et entra.

Alors, une femme ou un homme ?

« Kaleb ? »

Sur toutes les personnes peuplant l'archipel, il avait fallu qu'il tombe sur la personne qu'il détestait le plus au monde.

(tenue) Il n'a jamais été du genre très romantique ou quoi que ce soit d'autre dans ce genre là. Non, Kaleb est plutôt naturel, à presque cent pour cent. Disons 99% et le dernier pourcent est pour sa musculature bien développée. Il a enfilé un jean noir, un marcel blanc rehaussé d'une veste en jean claire qu'il a laissé ouverte. Son marcel est tâché, sali plus exactement, par le fait qu'il ait essuyé ses mains dessus en sortant du travail. Enfin, quoi qu'il en soit, il ignore de quelle manière il peut bien réagir face au fait qu'Akhira se tienne devant lui.

« Alors, depuis toutes ces années, la seule personne avec qui cette foutue machine est capable de me coupler, c'est donc toi ? Quelle ironie, n'est-ce pas ? »

Son ton est le plus neutre possible. Il n'a pas relevé les yeux pour regarder son interlocuteur - il est certain qu'il n'a pas changé. C'est sa voix, qu'il a reconnu. Parce qu'il la reconnaîtrait entre mille pour l'avoir bien souvent trop entendue dans son adolescence. Mais est-ce que c'est normal que sa prise se resserre sur son verre ? Comme si une rage ancienne s'abattait sur lui, avachi à ce rustre comptoir.
Kaleb se dit qu'il aurait du se montrer surpris, ou qu'il aurait du feindre la surprise. Cependant, qu'Akhira se tienne dans cet endroit lui aussi ne l'étonne pas. Il sait depuis longtemps que cet homme lui appartient corps et âme et le plus étonnant est qu'il semble que le destin les ait réunis une fois de plus.

« Assieds-toi », lui ordonne-t-il en ayant éclairci sa voix une seconde plus tôt.

Tout lui revint en mémoire. Absolument tout. Il se souvint la dispute qu'il avait eu avec ses parents, sa décision de partir de la maison familiale dès le lendemain, son appel téléphonique à un ami qui l'avait invité à une fête, l'alcool... Et le sexe avec Kaleb. Depuis, ils ne s'étaient plus revus et avaient chacun continué leur vie de leurs côtés. Akhira était devenu musicien et mannequin et possédait un appartement à Chuo avec une belle vue sur Tôkyô. Ainsi va la vie.
Il n'aurait jamais cru revoir Kaleb un jour. Pour lui, il faisait partie du passé bien qu'il était celui lui ayant enlevé sa virginité. Ils avaient été « amis » le temps de quelques rencontres entre leurs parents et cela n'avait pas été plus loin. Ils ne s'étaient jamais réellement supportés et ce n'était pas aujourd'hui que cela allait changer. Les sourcils froncés, il garda néanmoins son sang-froid et s'accouda au comptoir pour commander au serveur un verre d'eau.

« Je peux très bien rester debout, merci. », répondit-il.

Il remercia le serveur et but un peu. Sa gorge était sèche et il sut vite qu'un verre d'eau ne suffirait pas. À quoi est-ce que ce rendez-vous pouvait-il servir de plus ? La machine s'était trompée... Ils étaient loin d'être compatibles l'un et l'autre.

« Une erreur technique, je suppose, dit-il avec un rictus mauvais, Toi et moi... Tss, non merci. »

Il s'attarda ensuite à plus le regarder pour voir s'il avait changé. Bien sûr qu'il avait changé. Il était beaucoup plus imposant qu'auparavant et certainement devait-il attirer beaucoup plus de femmes et d'hommes qu'auparavant à ses bras. Puis, il avait toujours ce regard de braise, aujourd'hui plus intense. Et ses... Ses courts cheveux ténébreux. Pourquoi les a-t-il coupés ?

(tenue) Il n'a pas souri, mais ses lèvres se sont pincées, bloquées contre la tasse qu'il porte à sa bouche. Alors c'est ainsi ? Il ne peut s'empêcher de faire une remarque qui, il le sait déjà, va faire bondir son interlocuteur - au moins un minimum.

« Tu n'as pas changé, toujours à aimer enfreindre les règles », lâche-t-il.

Mais quelles règles ? Les siennes ? Kaleb aime donner des ordres et, surtout, qu'on les respecte. Particulièrement lorsqu'il s'agit d'Akhira face à lui.
Néanmoins, il sait qu'il se trompe ; physiquement parlant. Ses yeux foncés finissent par se tourner vers son camarade, le découvrant, ou plutôt le redécouvrant. Il a à peine grandi, mais l'air mesquin sur son visage est toujours là. Une candeur affreusement pénible orne encore tout son être. Et puis, même s'il les a vu en premier, ses cheveux. Il l'a connu brun, il est aujourd'hui... argenté. Kaleb a relevé un sourcil, cependant ne fait-il pas de remarque là-dessus. Il sait que cela aurait bien trop fait plaisir à son vis-à-vis.

« Peut-être que cette fois-ci tu ne t'enfuiras pas comme un voleur », répond-t-il à ses nouveaux propos en se tournant vers lui, reposant sa tasse sur le comptoir.

Il se lève aussi, pour s'approcher d'un pas ou deux d'Akhira pour laisser sa main droite venir s'emparer d'une mèche de cheveux du jeune homme qui tombe sur son visage. Ah ! cette texture qu'il a si bien connu...

Son verre d'eau fut rapidement vide. Il le fixa de ses yeux sombres et soupira pour ensuite commander un autre verre d'eau qu'il vida autant d'une traite. Ce fut à cet instant que Kaleb se décida à parler et il le fit sourire. Oui, il aimait enfreindre les règles parce qu'un jour il en avait eu assez d'être le petit enfant bien éduqué qu'il avait toujours été. Cela ne servait à rien de faire semblant.

« Et toi, tu as toujours aimé donner des ordres que je n'aime pas suivre. », sourit-il.

Toujours à le regarder de haut, toujours à essayer d'agir comme un maître envers lui. Et puis quoi encore ? Kaleb vint vers lui après avoir dit un sous-entendu très flagrant... Auquel il se décida de jouer à son tour. Kaleb aimait bien faire tourner les gens en bourrique et pourquoi pas lui ?

« De quoi est-ce que tu parles ? »

Faire croire qu'il avait oublié cette soirée... Quelle bonne idée. En plus, Kaleb eut la bonne idée de s'approcher de lui et d'attraper l'une de ses mèches de cheveux, ce qui fit qu'il eut tout le loisir de le regarder avec insistance. De lui tenir tête car c'était en plus quelque chose que Kaleb détestait au plus haut point.

La seule chose qui n'a peut-être pas changé c'est le fait qu'il ait envie de le fusiller sur place. S'ils n'étaient pas entourés d'autant de monde, filmés, Kaleb lui aurait sauté à la gorge pour lui asséner plusieurs coups de poing. C'est ainsi depuis des années, Akhira suscite en lui des envies violentes, peut-être pas mortelles, mais pas si loin que cela parfois. Ce garçon, il le déteste autant qu'il peut le porter dans son cœur, mais l'entendre feindre l'oubli de souvenirs, c'est un peu trop pour lui.

« Dois-je te rappeler le cours de cette soirée ou bien tu vas me faire le plaisir de t'en souvenir tout seul ? »

Voleur. Fuyard. S'il en existe d'autres, mots qualificatifs, Kaleb les pense tout aussi fort que ceux-ci, ses pupilles soutenant le regard inquisiteur de son interlocuteur. Il a envie de l'embrasser... ou de le frapper, bien plus encore. Il a horreur de le voir si enhardit, si fort et fier alors qu'il n'est qu'un microbe.
Son poing se serre, son autre main, tandis qu'il lâche la mèche de cheveux d'Akhira pour s'appuyer contre le bar.

« Qu'est-ce que tu deviens ? »

Hormis le fait que tu sois si désagréable.

Kaleb avait toujours été bagarreur et notamment envers lui. Ils avaient toujours aimé se taper l'un sur l'autre depuis leur plus tendre enfance bien que, généralement, c'était Kaleb qui l'emportait. Akhira n'était pas trop porté sur la chose mais il avait fait du karaté et il savait se défendre. Pas attaquer, mais se défendre. Il s'en sortait bien mais, face à la force incommensurable de Kaleb, il ne faisait pas le poids. Kaleb ne lui avait jamais fait trop de mal jusqu'à maintenant. Cependant, ils avaient eu le temps de bien changer en dix ans et il se demandait s'il se retiendrait avec tout le muscle qu'il pouvait posséder.
D'autant plus qu'Akhira avait eu tôt fait de devenir de plus en plus désagréable. Hautain à un point inimaginable, ce n'était pas comme s'il n'en avait pas conscience mais qu'on l'aime ou pas pour ce qu'il était, il n'en avait rien à faire. Il était libre et il vivait sa vie comme il l'entendait. Il disait ce qu'il pensait et regardait les gens de haut quand il pensait qu'il le fallait. Voilà comment il était et ce qu'avait toujours insupporté Kaleb. Ils étaient comme chien et chat et ce n'était pas prêt de changer.

Kaleb était énervé, cela se lisait dans son regard. Il aurait bien ri de sa réaction et lui avouait qu'il lui mentait mais ce serait justement cela qui ne serait pas assez marrant. Il se contenta donc de feindre davantage la surprise pour lui prouver au mieux qu'il ne savait pas de quoi il était en train de parler.

« Mais, de quoi est-ce que tu parles ? Je ne vois vraiment pas où tu veux en venir... »

Et, d'ailleurs, trêve de plaisanterie. Il était visiblement temps de rattraper le temps perdu en bonne et due forme.

« Ce que je deviens ?, dit-il, Je suis guitariste et mannequin et toi ? »

Il sait. Il sait très bien qu'il est en train de jouer avec lui et cela déplaît au plus haut point à Kaleb qui, pourtant, ne dit rien. Il ne peut pas. C'est comme s'il est enchaîné, un boulet au pied (qui n'est personne d'autre qu'Akhira) dans cette salle d'infortune. Qu'est-ce qu'il fiche ici, déjà ? Qu'est-ce qui l'a emmené ? La curiosité ? La belle affaire. Il aurait très bien pu s'épargner le calvaire qu'il est en train de vivre en cet instant.
Mais il soupire, en passant une main dans sa chevelure. Il essaie de calmer sa respiration qui s'est affolée, énervé des paroles de son interlocuteur. Ils ne se sont retrouvés que depuis quelques minutes et déjà les souvenirs du passé ne font que remonter.

« Alors comme ça tu as pu accéder à tes rêves d'enfant ? Cela ne m'étonne même pas de toi, lâche-t-il en un simple constat. Moi, je suis mécanicien automobile. Je bricole des bécanes quoi. »

Et j'accède à la liberté plus que tu ne pourras jamais l'imaginer.
Enfin, un silence tombe entre les deux jeunes hommes. Kaleb ne sait pas par où commencer ou bien s'il en a tout simplement envie. Akhira est à la fois le plus beau souvenir de son adolescence et son pire ennemi.

« Tu es encore plus beau qu'avant. Mais tes cheveux... Pourquoi ? »

C'est tout ce à quoi il pense sur le moment. L'interroger sur sa chevelure anciennement brune, devenue presque aussi claire que la neige à certains endroits. Pourtant, Akhira est loin de représenter la pureté.

Il s'amusait et il prenait un malin plaisir à faire croire à Kaleb qu'il avait oublié tout ce qui avait pu se passer ce soir-là. Or, il n'avait rien oublié. Loin de là. Cette soirée resterait même graver à jamais dans sa mémoire et elle allait l'être d'autant plus avec le brusque retour de Kaleb dans sa vie. Il ne pouvait s'empêcher de se demander si par hasard leurs destins n'étaient-ils pas liés pour s'être retrouvés de façon aussi impromptue. Que leur réservait leur avenir ?
En tout cas, Kaleb eut tôt fait de cesser de parler de cette fameuse soirée qu'ils avaient pu passer ensemble. Très bien. Cela avait été également son but à lui faire croire qu'il ne se souvenait pas de ce qui avait pu se passer car il était loin d'être satisfait de comment il avait pu agir. Il avait même honte d'avoir été aussi faible face à lui et de s'être laissé tomber dans ses bras. Franchement, qu'est-ce qu'il lui avait pris ?
Il sourit aux dires de son interlocuteur et termina son verre. Oui, il avait réussi à avoir accès à ses rêves d'enfant car il s'en était donné les moyens. Qu'en était-il de Kaleb ? Il ne fut pas surpris d'apprendre quel travail il faisait mais il ne put y revenir car la suite fut des plus intéressantes. Ses cheveux. Pourquoi est-ce que Kaleb avait toujours eu une obsession pour ses cheveux ? Puis, ce compliment inattendu... Il resta bouche bée face à lui et ne se mit à bredouiller un remerciement qu'au bout de quelques minutes.

« Qu'est-ce qu'ils ont mes cheveux ? Ils ne te plaisent pas ?, lui demanda-t-il un sourcil arqué, J'en ai eu assez de les avoir bruns alors j'ai fait quelques essais capillaires avant de les avoir bruns. Finalement, c'est cette couleur qui m'a le plus plu. Et toi alors ?, continua-t-il, Pourquoi est-ce que tu les as coupés ? »

Comme s'il a envie de le distraire. Ou peut-être même de se distraire lui-même. C'est sa manière à lui d'amener un nouveau sujet afin de ne pas se préoccuper plus longtemps des choses qui peuvent facilement le mettre en colère. Mais, là non plus, Akhira n'a pas changé. Il est toujours aussi doué à réussir à le pousser dans ses retranchements et ce, particulièrement lorsque la situation lui est bien impossible ; exploser de rage dans l'immeuble ? Kaleb ne connait pas vraiment l'organisme, mais il se doute bien qu'il n'a pas envie de les connaître tout de suite.
Alors ce sont les cheveux. Parce que cela l'intrigue et qu'il a toujours eu une passion plus ou moins saine pour les beaux cheveux - en particulier ceux de son interlocuteur depuis leur adolescence.

« Si je viens de te dire que tu es beau, c'est car cette couleur me plaît, répond-t-il ravi de l'avoir mis plus ou moins quelques secondes dans l'embarras en l'ayant vu bredouiller. Quant aux miens... bah, je les attachais tout le temps sinon ils traînaient dans la graisse des réparations. Je ne me suis pas posé de question en les coupant. Tu ne m'aimes plus, ainsi ? »

Un regard en biais surplombé d'un sourire en coin. Est-ce que cela fonctionne ? Est-ce que le jeune homme à la chevelure argentée a une quelconque réaction intéressante vis-à-vis de cela ? Mais Kaleb sourit, surtout en s'approchant un peu plus de son camarade, glissant sa main de l'arête de son menton jusque dans ses cheveux.

« Le temps est passé si vite depuis toutes ces années », lâche-t-il d'un air presque rêveur.