Ah, la routine. Nombreux sont les éléments de la société nippone à apprécier la constance et la sécurité que peut offrir une situation stable, un quotidien organisé. Le travail, la famille, la maison… Voilà une perspective qui donnait à notre journaliste plus d’urticaire que de rêves ambitieux : Se réveiller tous les jours à la même heure, réaliser exactement les mêmes tâches au même moment sans laisser de place au hasard ni à l’imprévu… Non, ce genre de vie millimétrée n’était définitivement pas faite pour elle. Elle avait horreur des contraintes, et pour son propre épanouissement personnel, elle avait besoin de nouveauté dans ses activités journalières. Son travail au salon de tatouages, elle l’adorait. Ses collègues avaient très bien compris sa manière de fonctionner et même si elle n’était pas ultra qualifiée, ils faisaient toujours en sorte de diversifier les tâches qu'ils lui confiaient pour ne pas la laisser assise en permanence derrière le comptoir de la boutique. Mais depuis qu’elle avait arrêté son stage et n’allait plus en cours, elle s’était retrouvée contrainte d’augmenter son volume horaire; son loyer n’allait malheureusement pas se payer tout seul. L’ennui, c’est que ses journées s’en retrouvaient appauvries, elle n’était plus aussi débordée qu’avant et parce que les quelques soucis qu’elle avait rencontré dernièrement la préoccupaient tout particulièrement, ce nouvel aménagement horaire ne l’arrangeait pas du tout.

Malgré son emploi du temps chargé,  la jeune femme parvenait presque toujours à garder du temps pour elle et surtout pour ses amis. La plupart d’entre eux étaient très pris par leur travail, et leurs emplois du temps ne correspondaient pas forcément au sien mais étrangement, la demoiselle arrivait toujours à s’arranger pour les voir lorsqu’ils avaient un peu de temps libre. Et il y en avait un qu’elle n’avait pas vu depuis trop longtemps à son goût : C’était Isao. Elle n’avait pas l’intention de laisser la situation stagner davantage. Oui, elle aimait l’imprévu, et que cela soit le cas du jeune homme ou non, elle n’allait pas se priver pour lui rendre une petite visite surprise. C’était son ami après tout, il savait comment elle était : Directe et très peu pudique - un peu à l’américaine - . Le garçon lui manquait, et si Kira était une fille qui parlait beaucoup, elle était aussi le genre de personne à agir : C’est ce que font les gens sincères, après tout, non ? Les longs discours sentimentaux, c’est joli deux minutes, mais le plus important reste encore de donner du crédit à ces belles paroles. C’est pourquoi après avoir fini son travail au shop ce jour-là, elle s’était dirigé vers la tour Ishikawa afin d’y attendre le jeune homme.

Oui, ils étaient proches, mais cela faisait quelques temps maintenant qu’ils n’avaient pas eu le luxe d’échanger une véritable conversation… Comment pouvait-elle être aussi sûre de pouvoir le croiser aujourd’hui ? Sachez qu’une fille, par essence, et bien plus douée pour récolter des informations que vous ne pourriez le soupçonner. Mais Kira n’était pas n’importe quelle fille : C’était une journaliste en devenir. L’investigation, c’était sa spécialité, même en dehors du travail, d’ailleurs. Alors non, elle n'avait aucun doute sur le fait de pouvoir rencontrer Isao à cet endroit précis dans les quelques minutes à venir. Et effectivement, elle ne tarda pas à repérer son ami auquel elle accorda un grand sourire accompagné d’un signe de main pour le saluer.

<< Ben alors ? >> lança-t-elle sans même lui laisser le temps de dire quoi que ce soit. << T’as la chance de croiser des filles de ce pedigree par le plus grand des hasards, et tu ne les invites même pas à aller boire un thé ? Je suis très déçue, Monsieur Fujita. >>

L’humour de Kira était toujours ainsi, partagé entre l’exagération et l’auto-dérision. Mais la sincérité du sourire qui étirait ses lèvres parlait de lui-même : Elle était heureuse de le revoir.