Une vie normale, c’était un enchaînement de bons et de mauvais moments, une différence régulière, un équilibre qui permettait de se rassurer et de songer que de meilleurs jours étaient à venir. Mais à partir du moment où les jours se ressemblaient tous et qu’ils viraient à la grisaille, il n’était plus question d’une vie normale. C’était une vie malheureuse, dont on pensait de plus rien pouvoir tirer, parce que tous les événements semblaient insipides, semblables, secondaires. Si l’on ne faisait pas tout ce qui était en notre pouvoir pour sortir la tête de l’eau, on finissait par se noyer.
C’est ce qui avait amené Koichi dans le hall de l’hôpital, ce jour-là. Il attendait un rendez-vous que l’entreprise avait fait prendre pour lui, après avoir constaté à de nombreuses reprises qu’il manquait ses repas, que ses performances avaient diminué. Le noir qui cernait ses yeux et la fatigue que l’on pouvait lire dans son être entier n’étaient pas causés par de simples mauvaises nuits. C’était un mal plus profond, plus vicieux, contre lequel il avait commencé à abandonner le combat, alors qu’il aurait été plus astucieux de lever sa garde. Après des mois passés à se battre contre les ennemis de l’amour artificiel, il se trouvait aux prises avec un démon plus dangereux encore : lui-même.
Perdu dans ses pensées, l’agent observait la porte du cabinet du médecin, scrutant sans rien y chercher les détails de ce panneau blanc, sans intérêt, où trônait uniquement une plaque de verre où étaient inscrits en noir les noms et spécialisation du médecin qui travaillait à l’intérieur. Il n’avait aucune envie d’y aller, de discuter. « Voir quelqu’un », comme tant aimaient le dire, était une preuve de son incapacité à gérer sa propre personne. Il doutait que cet homme parvienne à résoudre tous les problèmes qui lui tombaient sur le dos, depuis quelques mois. Ils étaient bien trop enracinés dans le passé, bien trop profonds. Cela faisait quelques mois, désormais, qu’il essayait de trouver une solution.
Il reporta son regard sur le téléphone qu’il tenait entre les mains, consultant les ordres de mission qu’il avait reçus, afin de se préparer correctement à la sortie du lendemain. Il repensa au bonheur de ceux qu’il aidait à sauver leurs couples, à ceux qui possédaient un élu qui n’était pas la première cause de leur malheur, et ses dents se serrèrent à cette seule idée. C’était entièrement de sa faute.
C’est alors qu’une voix interrompit le flux de sa pensée et lui fit lever les yeux. Il pensait surprendre une conversation, mais son regard ne tomba que sur un homme qui, selon toute vraisemblance, s’adressait à lui. «
Oui ? » S’il allait bien ? Koichi sentit le coin de ses lèvres tressauter, comme réticent à afficher le sourire qu’il voulait feindre. «
J’imagine que ça peut aller, oui. » Il lui fallut un moment pour remettre un nom sur ce visage familier, sur cet air affable et cette voix qu’il avait déjà entendue. Il le connaissait, oui, et c’était suffisant pour se demander pour quelle raison stupide il avait soudainement ressenti le besoin de lui parler. «
Depuis quand est-ce que c’est important ? » Ils ne s’étaient jamais appréciés, jamais. Alors pourquoi commencer à s’inquiéter ?